Un album et une dernière édition pour le festival Musiques en Voûtes. Le programme du Quatuor Manfred est une fois encore chargé en cette rentrée, à la fois dans les bacs des disquaires ainsi que dans les lieux de concerts.
Le quatuor Manfred, composé des violonistes Marie Béreau et Luigi Vecchioni, de l’altiste Emmanuel Haratyk et de Christian Wolff au violoncelle, publiait le 31 mai dernier son nouvel opus, Clairs de Lune, album enregistré avec la complicité du ténor Jean-Paul Fouchécourt. Après la belle expérience Bye-bye Berlin, la formation dijonnaise poursuit donc son exploration de la voix, en se tournant ici vers quelques grands auteurs français, et deux compositeurs qui n’ont, a priori, rien à faire ensemble sur le même disque, le tonitruant Hector Berlioz, dont on célèbre cette année les 150 ans de la disparition, et le si discret Gabriel Fauré, de crainte que la fougue romantique du premier, n’écrase les belles et subtiles harmonies du second… La cohabitation s’effectue néanmoins de la plus belle des manières ici, et c’est bien la mélodie qui en ressort victorieuse. Le titre de l’album peut quant à lui laisser présager d’escapades romantiques et de moments apaisés… Et c’est bel et bien le cas !
Le Quatuor Manfred, qui fête en 2019 ses trente-trois années d’existence, a souhaité ici marier le quatuor à cordes et la mélodie française. C’est en tombant par hasard sur le manuscrit de l’orchestration du Spectre de la Rose au musée Berlioz, qu’Emmanuel Haratyk, altiste de l’ensemble, a eu l’idée de transcrire la version pour chant et piano (version d’origine datant de 1841) du recueil des Nuits d’été, qui met en musique des poèmes de Théophile Gautier. Le musicien s’est également inspiré, sur certains passages, de l’orchestration de 1856, lorsque Berlioz reprendra son travail pour une configuration d’orchestre cette fois. Bénéficiant de cet arrangement pour quatuor, les Nuits de Berlioz en ressortent nécessairement plus épurées, plus intimes.
À découvrir également sur Clairs de Lune, La chanson du pêcheur de Gabriel Fauré, qui a été proposée par Jean-Paul Fouchécourt, et sur laquelle le compositeur rend hommage à un texte de Théophile Gautier. Cette version répond ainsi à celle de Berlioz (rebaptisée Sur les lagunes par ce dernier), un « dialogue à distance entre les deux compositeurs » comme l’explique Emmanuel Haratyk dans le livret du disque. Sur le même principe, le Clair de lune de Paul Verlaine mis en musique par Fauré, dialogue avec celui de Théophile Gautier qui inspirera une partition à Berlioz (Au cimetière). Les Nuits d’été, Opus 7, ne sont pas dénuées d’une mélancolie très présente, comme on peut l’entendre avec Sur les lagunes, lamento déchirant qui fait écho au décès de la première épouse de Berlioz, Harriet. On le voit, ces nuits sont bien éloignées du caractère tempétueux du créateur de la Symphonie fantastique, même si après Absence et Au cimetière, dans des tonalités tout aussi sombres, le cycle s’achève sur un regain de vitalité avec L’île inconnue, qui glorifie le voyage et revient au mode majeur. Un goût pour l’ailleurs que l’on retrouve dans l’une des six mélodies de Fauré, retranscrites là encore par Emmanuel Haratyk, avec Les roses d’Ispahan, reprenant un texte de Leconte de Lisle. Ce cycle apparait particulièrement onirique, l’auditeur tour à tour bercé par les flots, et baigné par un « calme clair de lune triste et beau ». Sur ce nouvel album, l’ensemble nous offre en outre le Quatuor à cordes en mi mineur, Opus 121 de Fauré, œuvre crépusculaire, créée un an après la mort du compositeur, une respiration entièrement musicale qui tisse un pont entre les deux cycles chantés.
– Dominique Demangeot –
Clairs de Lune – Berlioz et Fauré (Paraty), par le Quatuor Manfred et Jean-Paul Fouchécourt
Festival Musiques en Voûtes, en Bourgogne (Corgoloin et Tonnerre) et en Franche-Comté (Salins-les-Bains), les 6, 7 et 8 septembre
Plus d’informations : quatuormanfred.com