Émilie Charriot met en scène un texte de Claudine Galea, artiste associée au TNS, qui s’inspire des origines de son père, pied noir d’Algérie, et de sa mère française, fervente anticolonialiste, pour évoquer l’histoire intime face à l’Histoire avec un grand H.
Seule en scène, Valérie Dréville, elle aussi artiste associée au TNS, exprime ce fameux « sentiment de vie » en dépit de la mort qui rôde (maladie et décès du père, l’Histoire sanglante de la guerre d’Indochine). Frédéric Vossier, auteur, conseiller artistique et responsable de la formation Dramaturgie de l’École du TNS, pointe la singularité de ce monologue très éloigné de la dramaturgie traditionnelle, « [p]rivé de personnage, de dialogue, et de situation. » Une écriture de l’intime qu’il rapproche de celle de Falk Richter, à qui le personnage de la pièce s’adresse d’ailleurs dans une première partie, introspection menant au jardin secret (référence à la pièce de l’auteur allemand My Secret garden, dont le texte est paru en 2010 chez L’Arche Éditeur). Écrire pour distinguer les différentes couches des souvenirs et des sentiments, quitte à cheminer dans un certain désordre, voire le chaos comme le suggère encore Frédéric Vossier. « Ce qui m’intéresse ici, c’est l’approche philosophique : l’idée que nous sommes la somme des rencontres que nous avons vécues. La question du legs, de l’héritage, est primordiale. »
Et pour éviter que ces sentiments accumulés ne pourrissent de l’intérieur, « faut les montrer faut s’en servir », écrit Claudine Galea. Les affects vont alors se mêler à la politique au sein d’une écriture fragmentaire comme devant les différentes périodes d’une vie, et face aux mouvements de l’histoire, entre colonialisme, nationalisme et communisme, et la guerre d’Algérie en particulier. La mort, en conflit perpétuel avec le « sentiment de vie […] de jouissance toute cette fucking beauté après laquelle on court après laquelle on écrit ». Une dernière partie s’inspire du personnage éponyme de Lenz de Georg Büchner, Claudine Galea ayant été touchée par la solitude de ce jeune personnage et de son périple montagnard, comme la métaphore d’un parcours initiatique. Brasser les sentiments, c’est aussi tenter de se reconnecter à un passé, à des passés et des êtres chers, et pour le cas de l’autrice à « l’amour qui n’a pas été bien dit ni bien donné. Cet amour-là me reliait à mon père », commente cette dernière.
– Paul Sobrin –
Un sentiment de vie, Théâtre National de Strasbourg, du 17 au 27 janvier – tns.fr