Sarah-Jane Stratford – Héroïnes

ROMAN

Belfond

Dans son premier livre paru en 2016, Radio Girls, non traduit pour l’instant dans nos contrées, Sarah-Jane Stratford dépeignait déjà l’ascension d’une jeune Américaine ambitieuse à Londres en 1926 à la BBC. Ce deuxième roman nous présente une fois encore un personnage féminin avide de reconnaissance et d’indépendance, mais cette fois c’est dans le Londres du milieu des années 50 que Sarah-Jane Stratford plante le décor, dans l’univers de la télévision.

Sarah-Jane Stratford - Héroïnes - Belfond - Chronique album

À New York, Phoebe Adler se bat pour se faire sa place en tant que scénariste. Célibataire, elle ne ressemble en rien aux standards de l’American Way Of Life de l’époque, ni mariée, ni mère, ni « entouré[e] d’une foule d’appareils électroménagers et de tout le confort moderne ». Soupçonnée de sympathies pour la cause communiste, la jeune femme est contrainte de quitter New York pour Londres où elle espère poursuivre sa carrière. Là-bas elle rencontre sa compatriote Hannah Wolfson. La productrice déléguée et son mari Paul ont quitté les États-Unis lorsque la « chasse aux sorcières » anti-communiste a débuté. Avec sa série à succès sur Robin des Bois, dont les scénarios sont écrits par des auteurs blacklistés par les anti-communistes, l’engagée Hannah compte bien dénoncer les censeurs du Comité parlementaire sur les activités antiaméricaines, « une série télévisée qui les narguerait chaque semaine », propose-t-elle. Dans Héroïnes, sororité rime aussi avec solidarité : « On partage tout ce qu’on a », lance Hannah lorsqu’elle vient en aide à Phoebe. « Et on se serre les coudes. » Comme dans Radio Girls, ce sont des personnages féminins déterminés à gagner ou maintenir leur indépendance que nous présente l’autrice.

Sarah-Jane Stratford semble se faire une spécialité des romans historiques, amplement documentés, et le parfait rendu de l’ambiance de l’époque est à signaler. Dans un Londres où les stigmates de la Seconde guerre mondiale sont encore très visibles, les temps sont cependant en train de changer, comme le chantera Dylan quelques années plus tard. Si Phoebe en est encore réduite à dissimuler son prénom sous l’acronyme P.B. (les femmes scénaristes, c’est mal vu), un vent nouveau s’apprête à souffler sur la société. Les Stones, Beatles et autres groupes vont électriser la jeunesse britannique, puis ailleurs dans le monde. « La musique, le café, un changement dans l’air ». Il faut dire que Sarah-Jane Stratford dépeint une époque particulière, celle de l’après-guerre et de l’arrivée du rock’n’roll qui a donné des envies d’émancipation à beaucoup.

Avec ses dialogues enlevés et ses allures de roman d’espionnage, Héroïnes ménage également un bel équilibre entre dénonciation du maccarthysme, défense du féminisme (le parallèle est particulièrement bien amené) et romance plus légère (l’histoire entre Phoebe et le jeune et mystérieux Reg). Et lorsque le roman évoque « [c]ette persécution au nom du patriotisme » qu’est l’anti-communisme primaire, difficile de ne pas dresser un parallèle avec notre époque où les réseaux sociaux amplifient les méfaits de la fameuse « cancel culture », cette paranoïa moderne qui prend elle aussi, de plus en plus, des allures d’une chasse aux sorcières.

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