RÉCIT
Flammarion
Avril 2017
Minh Tran Huy, qui sera présente au salon Livres dans la Boucle de Besançon en septembre, a publié en avril un essai sur le fait divers. L’auteur, qui s’inspirait elle aussi d’un fait divers pour son roman La double vie d’Anna Song, évoque ces histoires de sang qui ont fasciné et fascinent encore les lecteurs, en explorant de manière très complète la façon dont les écrivains s’en emparent.
De ce terme de « fait divers », on trouve l’une des premières mentions dans une œuvre de fiction de Théophile Gautier en 1838, avant l’entrée de l’expression dans le Larousse au XXe siècle. Minh Tran Huy revient dans un premier temps sur l’histoire du fait divers, et il apparaît rapidement que la dimension journalistique et la véracité de ces faits ne soient pas toujours au rendez-vous, les chroniqueurs s’arrangeant avec la réalité, romançant les histoires sanglantes pour les rendre plus vendables. L’essai de Minh Tran Huy nous transporte à la fin du XVe siècle, pour évoquer ce que l’on nommait les « occasionnels » et « canards », feuilles volantes vendues à la criée, ancêtres de Voici et autres publications à scandale, en passant par les complaintes, versions chantées des faits divers. L’auteur traite bien sûr des origines de la littérature populaire, avec son terrain urbain et social en vogue au XIXe siècle, les feuilletonistes sans oublier Les Mystères de Paris d’Eugène Sue le siècle d’après, des mystères qui s’étaient grandement inspirés des faits d’actualité consignés notamment dans La Gazette des Tribunaux. Ainsi peu à peu, Minh Tran Huy tisse une définition richement documentée du fait divers, « échangeur entre le familier et le remarquable » comme l’a écrit Michel Foucault, évoquant Poe comme précurseur du roman noir, et les fameux héros des « romans de police » que sont Fantômas, Rouletabille ou encore Arsène Lupin.
« Le XIXe siècle est autant celui des auteurs qui profitent de la vogue du fait divers que celui de ceux qui le dédaignent ouvertement – et puisent pourtant en lui une inspiration nouvelle », observe Minh Tran Huy. L’auteure passe ainsi en revue l’apport du fait divers dans les grands romans réalistes de Zola, Stendhal, soucieux d’apporter à leurs œuvres cette « vérité matérielle » dont parlera Flaubert, le roman mais aussi la poésie et jusqu’aux surréalistes du XXe siècle qui s’enflammeront pour les fameuses affaires des sœurs Papin et Violette Nozière. On croise dans cet essai Giono, Genet, Duras entre autres grandes plumes qui participeront toutes, et chacune dans leur style très personnel, à une « esthétisation du crime », pour aboutir à la littérature contemporaine avec notamment Ivan Jablonka, Didier Daeninckx, Truman Capote et son fameux De sang froid. Des écrivains qui tenteront par leur analyse de pénétrer les esprits d’assassins pour en faire apparaître les rouages, tandis que d’autres s’intéresseront davantage aux victimes de ces crimes sanglants.
Dominique Demangeot