CHANSON ROCK
Ici, d’ailleurs
Le Michel Cloup Duo et Pascal Bouaziz se retrouvent à l’occasion d’une nouvelle collaboration autour du premier roman de Joseph Ponthus, À la ligne (2019, La Table Ronde). Faisant suite à une carte blanche proposée par La Station Service à Rennes, les trois musiciens sont passés par la case studio pour immortaliser, dans la région de Toulouse, des adaptations musicales d’extraits du roman. On suit un ouvrier dans les méandres sanglantes des conserveries de poissons et des abattoirs en Bretagne. Bienvenue en enfer.
Sur À la ligne – Chansons d’usine, le trio explore la litanie des « gestes automatiques ». Mais ici les gestes répétitifs, éreintants pour le corps et l’esprit, se mêlent au sang des animaux. Nous sommes en effet dans des abattoirs, des lieux de mort qui feraient presque passer les usines automobiles pour des parcours de santé. Pas étonnant alors que « le besoin d’écrire s’incruste, tenace, comme une arête dans la gorge » (À la chaine) pour témoigner et peut-être aussi se délester de cette atmosphère pesante. Les trois musiciens restent fidèles au rythme hypnotique du roman de Joseph Ponthus, à son écriture dénuée de ponctuation comme pour accentuer encore cette infernale cadence, tempo délétère des usines qui prend parfois des allures martiales (La pause). Alors Michel Cloup, Julien Rufié et Pascal Bouaziz opposent à ces histoires de « servitude volontaire, presque heureuse » leur propre musique, et les voix de Pascal et Michel restituent toute la rage contenue dans ces Feuillets d’usines devenus ici Chansons d’usine. Les trois musiciens nous font toucher du doigt (ou plutôt de l’oreille) le monde de l’usine qui vous gagne et surtout vous hante (Le Week-end qui résonne comme une angoisse lancinante). Il faut dire que le Michel Cloup Duo et Pascal Bouaziz ont su accorder leurs compositions au diapason des mots de Joseph Ponthus, pour une épopée noisy, entre chanson rock et électro, la vraie bonne surprise de cette fin 2020.
Sentiments et sensations sont passés en revue dans cet album particulièrement sombre, l’usine considérée comme « un putain de purgatoire de merde » (comme ça c’est dit). Le disque nous interroge aussi sur la logique de production de notre ère moderne. Il faut bien « que la production continue », comme le crie Pascal Bouaziz, à la manière d’un mantra proféré contre la société de production-consommation, quitte à endurer « la répétition des douleurs ». Sur À l’abattoir, la batterie de Julien chauffe comme le marteau sur son enclume, tandis qu’une guitare acérée plane de gauche à droite dans la stéréo. La même atmosphère se fait jour sur Cauchemars, guitares vrombissantes et batterie plombée. Heureusement, l’art est là comme un échappatoire, nous rappelle le groupe sur Penser à autre chose, des couleurs plus pop pour parler de ces airs entendus le matin à la radio, et qui aident à « tenir le coup ». L’écriture est là aussi pour nous amarrer à la vie, comme l’illustre la chanson titre, la langue comme un sas de décompression (« J’écris comme je travaille, à la chaîne, à la ligne »).