RÉCITS
Au diable vauvert
Parution le 3 mars
Il suffit de parcourir la table des matières de ce nouveau recueil pour comprendre que Lydia Lunch n’est pas là pour nous conter fleurette. Paru aux États-Unis en 2018, l’ouvrage est une nouvelle incursion dans l’univers punk de la poétesse, slammeuse et compositrice américaine qui a notamment frayé avec Sonic Youth, Henry Rollins, Nick Cave et bien d’autres. Le nihilisme de la dame en noir n’a de cesse de défier la morale et les bienséances, cramant la notion de responsabilité sur l’autel du libre-arbitre.
Notre petit monde peut bien partir en lambeaux, les poètes sont là pour nous tenir la tête hors de l’eau, esquisser un semblant d’ordre dans le chaos ambiant, quand même le droit de vote ressemble de plus en plus à une grande mascarade. Les élections américaines (et l’Agent Orange en particulier) en prennent d’ailleurs pour leur grade. Le bulletin de vote comme un pansement sur une jambe de bois vermoulu, face à une humanité qui pille allègrement la planète. À ce sujet le flippant Détox (si seulement c’était si simple) chronique la souillure industrielle systématique (et quasiment systémique) du sous-sol américain d’est en ouest. Pas étonnant dès lors que Lydia Lunch aspire, l’âge aidant, à une certaine purification, physique et mentale, même si elle ne rechigne pas à « de temps en temps perdre la tête pour trouver sa vraie nature. » Car l’intoxication chez elle est une tare qu’elle balade depuis la naissance comme une malédiction.
Pas étonnant non plus que Lydia Lunch cherche à réhabiliter d’autres « artistes de l’extrême » comme les premiers punks, Herbert Huncke, éminent chroniqueur de « la complexité et la fragilité de la condition humaine », qui a inspiré Burroughs et d’autres auteurs beats, ou encore Hubert Selby, Jr dont elle retranscrit une interview menée à ses côtés en 2001. Entre chroniques (féminisme et « joies de la maternité »), autobiographie et poésie au V.I.T.R.I.O.L., ce recueil de textes nous conforte dans l’idée que Lydia Lunch reste l’une des plumes les plus corrosives des lettres américaines. Mention spéciale à la traductrice Élise Passavant qui a su rendre toute la saveur de la prose « aux bords rugueux » de l’autrice. Un cortège de mots qui charrie toute la colère et la frustration de quelques générations d’humains, cette tension moderne qui va bien finir par nous exploser un jour au visage, une « poétique des ruines » qui prône aussi la recherche des plaisirs jusqu’à l’extrême. La revanche d’Éros sur Thanatos.
Dominique Demangeot