La Manufacture de Livres
Le livre débute par un hommage explicite au Petit bleu de la côte ouest de Jean-Patrick Manchette, manière de s’inscrire dans la tradition marxiste du néo-polar tout en gardant sa dimension ironique.
Si les actes des individus sont déterminés par des causes qui les dépassent, l’avenir n’est pas, pour autant, figé. Richard Garcia, le brigadier raciste et bourrin, n’aurait pas tué son collègue maghrébin, si on n’avait pas été dans un contexte tendu en banlieue alimenté par des désordres géopolitiques. Pour autant, son futur n’est pas tout tracé… Une rencontre amoureuse qui se produit « contre toute logique de classes » va l’ouvrir à d’autres horizons. Au reste, le policier assassin joue, dans ce récit, un rôle secondaire, il n’est là que pour planter le décor.
Plus intéressante est la raison de la présence de la victime sur les lieux et ce que lui annonce son indic. Mais l’histoire prend réellement son sens avec l’apparition de la Petite Gauloise dont le Combattant est amoureux. Il souhaitait l’utiliser pour ses actions terroristes mais les évènements signalés précédemment ont mis un terme à ce projet. Par ailleurs celui qui se croit manipulateur devient manipulé car la Petite Gauloise suit ses propres objectifs. Les individus, comme l’avait noté Machiavel, ne sont pas maîtres du résultat des actions qu’ils entreprennent.
Loin des déterminismes initiaux, l’histoire fait place aux hasards et aux accidents qui entrainent les individus sur des chemins qu’ils n’avaient pas prévus. Par ailleurs, la reprise de la phraséologie marxiste déterministe, déjà ironique, chez Jean-Patrick Manchette est accentuée par un système de déclinaisons humoristiques. Ainsi, si la raison du meurtre initial est « sans doute à chercher dans les désordres géopolitiques bien éloignée de la banlieue caniculaire qui surplombe cette grande ville portuaire de l’est », l’explication des évènements qui vont se produire dans la salle de classe « est sans doute à chercher non plus dans les désordres géopolitiques lointains mais dans l’envie de faire pipi de Kahina ».
Portrait d’un monde en décomposition, le livre, comme les deux précédents, esquisse un monde futur vivant harmonieusement selon le modèle des ZAD. Au point qu’on se demande quand l’auteur osera sauter le pas et nous décrire dans un livre complet cette nouvelle société. Le problème étant, peut-être, que si le polar est le genre parfait pour décrire les dysfonctionnements du monde, il n’est pas forcément adapté à raconter une société qui vivrait harmonieusement.
Martial Cavatz