Emma Becker – Le mal joli

ROMAN 

Albin Michel

Parution le 21 août 2024

Une soirée de remise de prix. Emma Becker repart sans récompense, mais avec un amant et l’étincelle d’un nouveau livre. Antonin de Quincy d’Avricourt est un prétendant quelque peu encombrant avec son mètre quatre-vingt-dix, ses vestes aux couleurs audacieuses et ses écrits sur Brasillach et Rebatet. Une passion pour Emma (l’amant, pas Rebatet). Tsunami charnel et mental dont la romancière s’évertue à analyser les ondes de choc.

Emma Becker - Le mal joli - Albin Michel - Chronique dans le magazine DiversionsSur l’échelle d’Emma Becker, la magnitude du séisme provoqué par sa rencontre avec Antonin s’élève au moins à 9. L’autrice auto-fictionne. Un printemps, un été et un automne pour « décrire, de la façon la plus vraie, la plus fidèle possible, les mécanismes de la pulsion qui s’installent dans le cerveau d’une femme empêchée ». Mais si elle s’estime contrainte (par les cadres et les codes familiaux, amoureux, patriarcaux…), Emma Becker se soigne, à grand renfort de style brillant et d’auto-analyse, et si par sa faute une partie des néo-féministes s’étouffe, les autres louent ses libertés prises avec son corps et les conventions, ses libertinages assumés. Le mal joli analyse aussi ce supplice de Tantale consistant à enchaîner périodes d’extase et de souffrance morale, tout comme l’art difficile de gérer « cette tyrannie de la petite enfance » qui fera probablement écho chez bien des parents (les romanciers sont là pour dévoiler nos petits et grands travers, quitte à grossir le trait). La survenue de l’aristocrate à lunettes dans cette équation déjà délicate, complexifie encore la situation. Faut-il négliger les uns pour contenter l’autre, et vice versa ? Assumer libido et sentiments ou boire le poison du manque jusqu’à la lie pour préserver l’unité familiale ?

Le mal joli n’est ni un roman porno ni une mièvrerie du genre « parce que c’était lui, parce que c’était elle ». Emma Becker n’écrit pas « du bout des lèvres », pour citer un titre de Barbara. Elle va même jusqu’à lister, avec force détails, les différentes étapes d’un lavement (prenez des notes). Emma Becker appelle une chatte une chatte et ne s’éternise pas, cependant, sur les scènes de sexe pour dépeindre plutôt cet « empoisonnement » qu’est la passion amoureuse. On sait tous que cela finira mal, ou en tous cas pas très bien. Mais le voyage vaut davantage que la destination. Rédigé au moment même où l’autrice vivait cette passion, Le mal joli (terme d’obstétrique) a donc beaucoup à voir avec les tripes et nous invite au cœur des intimités d’Emma Becker.

Tentative aussi de se définir en tant que femme en 2024, la romancière peinant à distinguer son reflet dans un miroir brisé, « [s]a personne morcelée, recomposée, éclatée à nouveau ». Maman. Putain. Épouse. Dévouée ? Coquine ? Fidèle ? Égoïste ? Et pourquoi pas tout cela à la fois ? (Quoique… fidèle…). Une quête d’identité initiée dans La Maison, poursuivie avec L’Inconduite, qui trouve un nouveau chapitre avec Le mal joli, l’enfer de la passion. Combat dantesque. Emma Becker s’agite dans ce Pandémonium, cherche des réponses chez le philosophe Alain, erre dans le petit matin parisien, échevelée, attifée comme l’as de pique. Maîtresse en OQTF. À d’autres moments elle fond et se morfond sous le soleil d’Aimargues, dans le sud familial. C’est son aimé clandestin lui-même qui semble avoir trouvé la parfaite formule pour résumer la jeune femme et son écriture, évoquant les films de Borowczyk, cinéaste de l’érotisme, pour qui le grand-père d’Emma, qu’elle n’a pas connu, fut chef opérateur : « du cul qui pense ». Insondables mystères de la filiation.

Dominique Demangeot

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