DOA – Rétiaire(s)

ROMAN NOIR

Folio Policier

Parution le 15 août 2024

L’auteur était de passage à Besançon en septembre, au festival Livres dans la Boucle à l’occasion de la sortie en poche (Folio Policier) de son dernier roman en date, Rétiaire(s), dans lequel DOA scrute et décrypte plus que jamais un monde qui ne tourne plus très rond, sur fond de confinement. Si les honnêtes citoyens obéissent sagement aux consignes sanitaires, le crime organisé lui n’en a pas grand-chose à faire de la distanciation sociale. Difficile aussi de pratiquer le télétravail quand on s’occupe de trafic de drogue et de blanchiment d’argent.

DOA - Rétiaire(s) - Folio Policier - Chronique dans le magazine DiversionsDans les sous-sols du nouveau 36, direction régionale de la police judiciaire à Paris, un policier des stups tire une balle dans la tête d’un membre du clan Cerda, Yéniches contrôlant le trafic de drogue dans l’Est parisien. Véritable déflagration, à la fois au sein de la police que l’on sent un peu (mais juste un peu hein !) dépassée par les événements et un trafic international qui prend de plus en plus d’assurance au fil du temps. Trafic mondialisé (transitant dans le roman par la Bolivie, l’Argentine et la Mauritanie pour arriver à Marseille) que DOA décrit avec une froideur clinique, constat documenté et implacable. Pourtant la dimension humaine de l’affaire n’est pas absente. Du côté des Cerda, après l’assassinat de deux de leurs chefs, il s’agit également de reprendre la main sur un commerce qui leur échappe. L’arrivage prochain d’une cargaison de cocaïne est dans leur ligne de mire. Pour Amélie Vasseur, enquêtrice de l’Office anti-stupéfiants, peut-être est-il aussi temps de mettre un peu d’ordre dans tout ça. Quitte à aller se jeter dans la bataille. Sans filet.

Mais la situation est complexe, à l’image des relations plus ou moins officielles qui se nouent entre acteurs (et actrices) de ce panier de crabe. La liste des personnages en fin d’ouvrage permet de s’y retrouver plus facilement. Des histoires de vengeances, où l’amour côtoie la haine, où le crime se transmet par héritage, le tout sauproudré de corruption. Comme toujours DOA a procédé à un travail de recherche sur plusieurs années, mais sa narration d’une efficacité redoutable ne fait en rien de Rétiaire(s) un roman didactique sur le trafic de stups, bien au contraire. « Ces problèmes-là, ils sont autour de moi et autour de nous en permanence », faisait remarquer l’auteur lors de son grand entretien à Besançon. « Ils m’inquiètent pour le chaos qu’ils génèrent et les conséquences qu’on ne voit pas tout de suite, mais qui petit à petit tendent vers de plus en plus de crispations au niveau local, national et international. Une façon de me rassurer, c’est d’essayer de les comprendre. » Le réel est sa matière première, avoue l’auteur, « mais je suis un illusionniste, un prestidigitateur, je vous donne l’impression que c’est réel mais au fond c’est fictionnel. Pris individuellement, toutes les choses sont justes, mais la combinaison est totalement fausse ! »

DOA au festival Livres dans la Boucle à Besançon, le 20 septembre 2024 – Photo : Diversions

Mention spéciale à la description de l’univers carcéral et ses noirceurs, et aux allusions toujours discrètes mais bien présentes à « la totalitaire virtualité cadenassée », autrement dit le confinement suite au covid. Dans Rétiaire(s), la focale oscille entre micro-local (l’Est parisien et sa guerre des gangs) et global (dans les interludes traçant l’origine de la cargaison de cocaïne que les Cerda veulent intercepter). « Si l’on veut vraiment prendre conscience de ce que représente le trafic de drogue, il faut se rendre compte que c’est un trafic capable de mettre 50 milliards physiques de dollars dans une succursale de banque à un moment donné », explique DOA, « et que les économies de tous les pays développés laissent passer. Sinon il n’y a plus d’économies de pays développés ». Comme toujours les romans noirs de DOA soulèvent des questions, comme ici la responsabilité des usagers du cannabis et autres drogues, et surtout, dans Rétiaire(s), celle des états. Une face sombre que traque l’auteur derrière les apparences. Dans son fourgon pénitentiaire, Théo, le flic incarcéré, est passé depuis longtemps du côté obscur de la force et aperçoit, au-dehors, les passants, « [i]nconscients du monde qui les entoure ».

DOA goûte peu la « science-fiction policière et judiciaire » des séries télé hexagonales. Il lui oppose un « virage vers toujours plus de vérisme ».

Ce dernier ouvrage en date porte bien son titre, évoquant les rétiaires, combattants des arènes armés seulement d’un filet et d’un trident pour garder leurs adversaires à distance. Pas d’armure. On s’expose mais dans l’espoir d’emporter l’avantage. Pour les Cerda, DOA s’est inspiré d’un gang de trafiquants, fratrie de Yéniches qui sévissait à Marseille, tenant à bonne distance ses concurrents, n’hésitant pas à pratiquer la torture pour instaurer la peur (comme l’illustre une scène particulièrement sensible dans Rétiaire(s)… Planquez vos doigts s’il vous en reste…). Pas de mystérieuse disparition chez DOA. Pas de jeu de Cluedo pour partir à la recherche du meurtrier. On sait tous qui sont les coupables, les méchants, les flics ripoux, des clans surarmés et une pieuvre étendant ses tentacules dans le monde entier, « cette poudre blanche qui, d’un bout à l’autre de la planète, rend les gens dingues et meurtriers ». Tout au plus peut-on tenter de comprendre pourquoi un flic passe du mauvais côté de la barrière. Rétiaire(s) soulève aussi la question des méthodes à mettre en œuvre, quitte à agir « hors champ, hors cadre, hors la loi », souligne l’auteur, pour tenter d’enrayer la machine. Il faut se rapprocher des sources, quitte à prendre certaines libertés avec des règles pesantes. « Tout le monde sort des protocoles et des contrôles », conclut DOA.

F.B. Benjamin

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