ROMAN
Grasset
Août 2017
Ils sont sortis de leur trou, agiles comme des chats le long des tentes en plastique et en bois bricolé qui subsistaient dans le camp.
Ce pourrait être le ghetto de Varsovie, après l’invasion de l’armée allemande en 1939. Les rues de Dubrovnik et Sarajevo grêlées de cratères dans les années 90. Cela se passe pourtant en France en 2016. À Calais plus exactement. C’est dans cette « jungle » presque entièrement vidée de ses occupants que débute le dernier roman de Delphine Coulin à paraître le 23 août prochain. L’auteur sera présente au salon littéraire du Grand Besançon, Livres dans la Boucle, en septembre à l’occasion d’une carte blanche.
La jungle, c’est le surnom que l’on a donné au camp de réfugiés de Calais, démantelé en octobre dernier, porte d’accès de milliers de migrants vers la terre promise qu’est l’Angleterre. Nous rencontrons un groupe de jeunes sans-papiers qui ont décidé, eux, de rester dans l’ancienne jungle. À l’instar de ce pigeon à une patte que croise Hawa, adolescente éthiopienne, ses compagnons d’infortune et elle semblent voués à rester ancrés au sol, cloués sur place aux abords de cette jungle qui porte décidément bien son nom. Leur « voyage au bout de la crasse, dans le plus grand bidonville d’Europe », ces jeunes gens venus d’Éthiopie, d’Albanie et d’Afghanistan l’ont accompli comme six mille autres réfugiés arrivés de divers endroits du monde.
En 2011 dans Samba pour la France, Delphine Coulin nous contait déjà le parcours d’un jeune Malien luttant pour obtenir sa carte de séjour. L’auteure d’Une fille dans la jungle a été bénévole pour la Cimade – Comité inter mouvements auprès des évacués – et connait donc bien le quotidien des réfugiés. Elle nous fait vivre leur traque jour après jour – le terme n’est pas trop fort -, cette lutte de tous les instants pour manger, ne pas se faire arrêter par la police et leurs « silhouettes noires » ou pire, tomber aux mains des différentes mafia qui pullulent autour des camps de réfugiés – qu’elles viennent de l’étranger… ou de nos chers compatriotes -. Le danger est permanent, le répit bien maigre. Trouvant refuge dans un box à chevaux, comparés tour à tour à des rats, des vautours, des hirondelles, tout l’enjeu consiste pour Hawa, Malid et les autres à tenir en équilibre incertain sur le fil de leur humanité, dans une situation où tout, justement, semble concourir à son anéantissement. Delphine Coulin livre un roman court et haletant, forgé dans l’urgence qui est celle des réfugiés, dans ce no man’s land où toutes les références au pays – d’accueil ? – qu’est la France brillent par leur absence. La ville est proche pourtant, cette civilisation où « [c]haque lueur qui vacillait au loin était une fête possible, une maison où d’autres enfants dormaient ». Et cependant si lointaine.
Dominique Demangeot