Jean Giono, Colline (Le Livre de Poche)
Première publication chez Grasset en 1929
1929. Jean Giono a 34 ans. L’auteur né en 1895 à Manosque entre en littérature avec Colline, premier roman qui sera suivi de deux autres volets, Un de Baumugnes et Regain. Les trois ouvrages peuvent se lire indépendamment les uns des autres mais sont pourtant réunis sous l’appellation Trilogie de Pan. Référence ici à la divinité grecque de la nature, omniprésente dans ces trois romans comme dans la totalité de l’œuvre de Giono. La nature qui assure à l’homme sa subsistance. Cette terre qui les nourrit lui et ses bêtes. Et cette colline, tout à la fois adulée et crainte.
Car la colline de Lure est bien ici personnage à part entière. « Lure, calme, bleue, domine le pays », veille sur les animaux et les hommes. Sereine, tout du moins au début… L’assèchement soudain d’une source, le mal mystérieux touchant une petite fille et un incendie vont venir troubler le calme apparent des premiers instants et perturber l’ordre en place. Giono aura bien d’autres occasions, et toute une belle carrière devant lui, pour reparler de cette eau que l’on retrouvera fréquemment dans ses écrits, source de vie tapie dans les entrailles de la chaude terre de Provence.
Pourquoi lire Giono ?
Pour cette phrase.
«C’est entre les collines, là où la chair de la terre se plie en bourrelets gras».
Pour cette autre.
«De la ville, quand la brume de chaleur se déchire, on aperçoit les Bastides Blanches comme des colombes posées sur l’épaule de la colline ».
Pour toutes les autres, pour cette prose si particulière à Giono, poétique et lyrique, qui décrira mieux que quiconque une Provence très éloignée des cartes postales vernissées de Marcel Pagnol. Car si la Provence de Giono est belle, elle est restée sauvage et dangereuse si l’on n’y prend garde. Une violence inhérente à la nature, trahie dans d’infimes détails à l’image d’une goutte de sang perlant à la moustache d’une belette. Car la nature peut reprendre aussi rapidement qu’elle a offert, à l’image des herbes sauvages, promptes à regagner du terrain. « Le monde des arbres et des herbes attaque sournoisement les Bastides ». Attaché à la terre de son enfance, Giono n’aimait pas la ville, sa préférence allant plutôt vers la « civilisation paysanne » dont il parla souvent et qu’il ne cessa de glorifier, quitte à s’attirer les moqueries de certains. Si Jean Giono rêve d’un retour de l’homme à la nature, l’un et l’autre se trouvent régulièrement réunis sous sa plume. En décrivant Janet, il évoque ainsi le « buis rasé de sa figure ». Plus loin, le corps du vieillard est comme « de la souche morte ». Il faut aussi lire la description que fait Giono du personnage de Gagou, jeune adolescent attardé qui a découvert une autre source. « La lune fait de Gagou un être étrange. […] il est doublé d’un monstrueux quadrupède d’ombre qui bondit à ses côtés ».
Dans les années trente, déjà, l’écrivain observe avec tristesse la France rurale peu à peu grignotée par le monde moderne. Lorsque le citoyen de 2018 contemple le « cauchemar climatisé » que nous ont laissé nos aînés, pour paraphraser Henry Miller, il réalise que les craintes de Giono étaient fondées. Dans les romans de ce dernier, un lien intime attache encore l’homme à la terre. Lorsque Gondran a la prémonition d’un sombre un événement, il le ressent jusque dans sa chair. « Pour la première fois, il pense, tout en bêchant, que sous ces écorces monte un sang pareil à son sang à lui ». C’est l’une des grandes réussites de Colline, cette intuition quasi animale qu’un malheur va s’abattre, un mauvais augure que les paysans des Bastides Blanches perçoivent dans des signes apparemment anodins : la présence d’un chat noir, quelque chose « derrière l’air », comme le dit Gondran au vieux Janet, paysan sourcier que sa petite communauté finit par accuser des maux frappant le hameau.
Le monde paysan de Giono puise ses racines dans d’anciennes coutumes, un certain panthéisme et l’attachement à des croyances d’un autre âge, d’avant l’ère chrétienne, quand l’homme n’était pas placé au centre du monde et qu’une certaine humilité lui faisait penser que des forces supérieures – et pas seulement un Dieu quelque peu sadique – présidaient à sa destinée. Qui mieux que l’inquiétante et belle colline de Lure pour symboliser cette nature sauvage, Gaïa, terre mère et nourricière, mais aussi Léviathan pouvant, d’un revers de nageoire, envoyer par le fond l’homme et ses bâtisses, ses cultures. Gondran, Arbaud, Maurras et les quelques autres sentent le mal arriver, comme une malédiction qui finit par prendre des airs de châtiment. L’homme exploite la terre, prend la vie des animaux, dompte la nature pour subvenir à ses propres besoins. Alors parfois, la nature se venge. « La colline, chargée de plantes et de bêtes, monte noire, lourde, pesante d’immobilité et de force ».
Dominique Demangeot
Lire Giono.. et l’écouter
Depuis plus de vingt ans, les Éditions Thélème accomplissent un remarquable travail de mise en voix de classiques de la littérature française et étrangère. Poésie ou roman, les mots des écrivains prennent corps dans les voix de comédiens et de comédiennes. Les Éditions Thélème se sont penchées sur les mots de Giono, en se consacrant à sa Triologie de Pan. Les trois volets, Colline, Un de Baumugnes et Regain sont disponibles en livres audio, Jacques Bonnaffé se chargeant de lire les deux premiers, et laissant sa place à Pierre-François Garel pour Regain qui clôt le cycle.
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