Marie-Juliane Marques et la compagnie Les Incasables poursuivent leur exploration des solitudes contemporaines. Au Cèdre de Chenôve, Au bord des murs invisibles nous présentera une galerie de cinq portraits de femmes, aux prises avec leurs vies quotidiennes. Venues d’horizons (très) divers, et chacune à leur manière, elles font une pause dans leurs « courses citadines » pour se confier sur leurs peurs et leurs espoirs.
Au bord des murs invisibles fait suite à un premier opus, Au pied des monumentales petites choses. Quand l’idée de cette série théâtrale est-elle née ?
L’idée était d’explorer la thématique de la solitude et de la course, pour moi deux grandes contraintes de notre société actuelle. C’était aussi dans la dynamique et la sortie du Covid. Je me suis mise à réfléchir, chercher des textes durant le confinement pour créer ce premier spectacle. Il y avait aussi beaucoup cette histoire de course sociétale, qui nous empêche beaucoup.

Photo : Diversions
Vous allez interpréter une fois encore, seule en scène, de nombreux personnages féminins… Comment l’écriture de ce deuxième volet s’est-elle faite ?
Durant les confinements, j’ai beaucoup lu et cherché des écritures de monologues de femmes. J’ai aimé aussi me mettre au défi en ne reprenant pas que des écritures théâtrales. Il y a une lettre anonyme, un article de journal… Dans le premier opus il y a sept femmes différentes et c’est plutôt une exploration à travers les âges et les étapes de la vie. Je voulais continuer d’explorer cela, donc je suis repartie sur l’idée de garder plusieurs portraits de femmes.
Ce deuxième opus illustre-t-il votre évolution ?
J’ai pris un autre sous-thème pour pouvoir explorer la solitude et la course citadine: le prisme du système capitaliste, un système de contrainte qui pousse à la course et à oublier l’essence de l’humain. Ça va de la SDF à la femme médecin, j’ai touché différentes strates sociales, pour voir comment ce système économique nous impacte.
L’image prend également une place plus importante ici…
J’avais déjà un espace de paravent où il y avait de la projection de photos de ville que j’avais faites, je voulais garder ça mais aller plus loin. J’ai fait construire un écran de cinéma qui fait office de décor. Un créateur visuel, Cédric de Montceau, est mon premier partenaire chez Les Incasables. Il a habillé l’écran, qui a servi de décor et d’ambiance sonore aussi, ça donne un côté assez cinématographique. On n’est pas sur un décor de premier degré. Par exemple derrière Sandrine, fonctionnaire, qui est en train de parler alors qu’elle est au travail, on voit un paysage paradisiaque, un paysage de plage. Mais ça vient dire quelque chose, habiller son état émotionnel et ce qu’elle raconte. C’est presque un autre dialogue, pour lire entre les lignes ce qui ne se dit pas avec les mots.
Pouvez-vous nous présenter certains des personnages ?
Sandrine et Jany sont la strate de la classe moyenne. J’ai travaillé ces personnages-là pour mettre surtout en exergue le fait qu’on n’est pas ce qu’on parait. J’aime bien cette idée-là : derrière un paraitre sociétal, il y a toujours quelqu’un d’autre à découvrir et qui peut nous surprendre.
Comment avez-vous travaillé l’adresse chez les différents personnages ?
Il y a très peu de quatrième mur chez moi (dans le premier opus il n’y avait même pas de coulisses !). Je peux me changer derrière l’écran ou même à vue. J’aime bien aussi cette contrainte-là, comme un espace de vérité en soi. La première femme parle un peu à elle-même et finit par s’adresser aux gens. Jany, la joggeuse, fait une vidéo Youtube donc elle parle à ses followers. La fonctionnaire parle à une collègue de travail, et la médecin parle toute seule, fait un point avec elle-même. La SDF parle aux gens chez qui elle va glaner la monnaie quand elle fait la manche. Elles ont toutes des typologies, des caractères, des sensibilités, des rythmes assez différents, ce qui permet de ne pas s’ennuyer, de garder des effets de surprise… Ce qui va être important aussi dans ce deuxième opus, c’est que j’ai commencé à m’atteler à l’écriture. Dans le premier j’ai principalement ficelé des textes, (même si c’est déjà un sacré travail !). Dans le deuxième j’ai écrit un des personnages, et tout ce qui est voix off à l’écran aussi. La SDF c’est vraiment ma première écriture, à partir de témoignages, parce que j’aimerais éventuellement dans un troisième, pouvoir écrire entièrement les personnages, et surtout à partir d’histoires vraies, d’interviews de gens d’aujourd’hui, qui existent.
C’est d’ailleurs ce que vous avez commencé à faire avec le projet de création collective Les Combattant(e)s chenevelier(e)s, en partenariat avec la Ville de Chenôve…
Oui je fais écrire les gens, c’est de la matière qui vient me nourrir pour potentiellement de futures écritures. Il y a un groupe d’adolescents et je travaille aussi depuis quelques séances avec des femmes principalement, et parfois elles viennent avec leurs enfants. Je ferai monter sur scène ces deux groupes-là. Les ados de l’Espace Jeunes et le groupe adulte que j’ai à la bibliothèque. L’idée c’est de faire une première partie un peu performance, pour pouvoir proposer leurs textes, et que je les mette en scène, si possible dans le goût de mes explorations à moi. Sur scène, j’aimerais les accompagner avec des musiciens au plateau, pour continuer à développer cet espace onirique. Je les fais écrire aussi sur le thème de l’amour, toujours avec le couvert de la solitude, la course, mais j’aimerais monter un troisième opus qui fasse un peu contrepied. Le premier c’est le constat, le deuxième la dénonciation. J’aimerais aller plutôt vers les possibilités, les espoirs, le positif.
– Propos recueillis par Dominique Demangeot –
Au bord des murs invisibles, Chenôve, Le Cèdre, 20 mai à 20h
cedre.ville-chenove.fr
Reportage de Diversions lors de la générale au Réservoir de Saint-Marcel le 26 mars 2025