Sur Palermo Hollywood, qui donne son titre à ce septième album, Benjamin Biolay joue les guides touristiques de luxe en évoquant un quartier branché de Buenos Aires. L’auteur de Jardin d’hiver s’est laissé irradier par le soleil d’Amérique latine. C’est dans« cette ville folle qui tourne le dos à la mer » que l’artiste est allé enregistrer Palermo Hollywood. Biolay change d’hémisphère, mais on retrouve intact son talent de mélodiste et d’auteur, lyrique et désabusé, sur ce nouvel opus.
« Le jour se lève enfin sur Palermo Hollywood. Un trans marche dans la rue, me lâche un coup de coude ». Le printemps se lève enfin sur une nouvelle production studio de Benjamin Biolay, et dès les premières mesures l’auditeur est catapulté dans la BO d’un énième James Bond. Couplets sombres, pas de refrain, si ce n’est un pont musical qui rappelle les accords désenchantés de Bien avant, sur l’album Trash Yéyé en 2007. Palermo Hollywood se gorge de la chaleur des rues et des stades de foot argentins, que Benjamin Biolay mêle aux ambiances en clair-obscur de la littérature à l’image de l’antinomique Borges Futbol Club – l’écrivain argentin détestait le foot -. À l’exception de rares titres comme Ressources humaines qui fait référence à la perte d’emploi, avec en guests de luxe Chiara Mastroianni et Melvil Poupaud, Biolay célèbre ici une Argentine rêvée, alanguie, « Pas d’ici », que l’on distinguerait à travers des persiennes plutôt qu’en pleine lumière.
Malgré ces latitudes plus moites, Palermo Hollywood n’est pas une grosse poilade et Biolay le confesse d’ailleurs lui-même : il n’est pas un fan invétéré des chansonnettes légères. Lorsqu’il s’agit de partir en quête de l’être aimé – Miss Miss, Pas d’ici, pop et taillés comme des singles -, le spleen n’est jamais loin, comme on peut aisément s’en convaincre sur Pas sommeil, sinfonietta qui prend la forme d’une déambulation nocturne, ou sur Tendresse année zéro, la voix de Benjamin Biolay plongeant de plus en plus, les années passant, dans les abysses. L’artiste exploite particulièrement bien ces bas octaves sur Palermo Spleen, illuminé d’une trompette – Benjamin Biolay reste un manieur de cuivre hors-pair – et de la voix du ténor Duilio Smiraglia. À d’autres moments, le chanteur batifole sur des morceaux plus solaires, avec Sofia Wilhelmi – rencontrée sur le tournage de Mariage à Mendoza – dans les draps d’un lit de bandonéons sur Palermo Queens et Palermo Soho. Sur La Noche Ya No Existe, c’est la jeune star de reggaeton Alika qui accompagne Biolay dans ses errances latinas.
On ne peut décidément pas refermer cette chronique sans évoquer les deux cœurs battants de l’opus, à savoir cette Ballade française qui le clôt, retour sous des cieux plus tempérés, substantifique moelle de l’art de compositeur de Biolay, ode à une certaine musique française, élégante et mélancolique, que le Lyonnais n’a de cesse de célébrer depuis quinze ans à travers ses arrangements. Et puis La débandade, probablement l’un de ses plus beaux titres, magnifique de désespérance, chanson testament comme a pu l’être Mon héritage, évoquant cependant ici non pas la filiation mais l’après, le chanteur qui n’a tout de même que 43 hivers, anticipant son départ « le plus tard possible ». On ne saurait trop vous conseiller d’embarquer pour cette odyssée argentine, que l’on peut également suivre en images sur Youtube, Biolay ayant filmé quelques-uns des titres de Palermo Hollywood dans le quartier du même nom. On salive déjà en sachant qu’une quarantaine de titres ont été enregistrés, et qu’un deuxième volume sortira prochainement avec entre autres, un duo avec Camelia Jordana, second volet davantage orienté rock, musiques urbaines et latino-américaines, selon l’artiste.
Dominique Demangeot