ROMAN
Albin Michel
Parution le 22 janvier 2025
Dans les Lettres persanes écrites en 1721, la société occidentale en prenait pour son grade. Montesquieu adoptait le regard de deux Persans en goguette en Europe relatant leurs expériences de manière épistolaire. L’ouvrage avait dans un premier temps été publié hors de France, et anonymement, pour ne pas offusquer la Régence alors au pouvoir. Gilles Martin-Chauffier emploie le même subterfuge avec ses Lettres qataries, où un employé d’ambassade du Qatar, en mission en France, relate sa vie parisienne à son frère resté à Doha.
Gilles Martin-Chauffier prend ainsi le recul nécessaire. Changer de perspective pour considérer son propre pays et passer en revue nos « crise[s] de nerfs nationale[s] ». Campant un représentant du Qatar, cette presqu’île particulièrement prospère, il pointe surtout la tendance qu’a le coq gaulois à s’endormir sur sa gloire passée, « le nez dans le rétroviseur ». L’auteur joue à fond la carte du choc des cultures, et c’est d’un œil amusé qu’Hassan, attaché d’ambassade, considère notre laïcité. Pas dupe de nos faux-semblants et de « la théâtrocratie parisienne », il découvre vite qu’en France on aime se payer de mots, que l’on imagine des lois pas toujours très utiles (« le législateur français trouve partout du grain à moudre ») et que l’on a du travail une définition pour le moins personnelle. Notre millefeuille administratif quelque peu roboratif ne trouve pas davantage grâce à ses yeux.
« Tu n’imagines pas de quelle hauteur ils nous regardent », pense Hassan au sujet de ces chers Français, qui eux-mêmes se font leur propre(s) opinion(s) du peuple arabe. Le jeune Qatari nourrit des sentiments ambivalents envers les Français, mêlés de cynisme et des tendresse. Une jeune responsable RP parisienne semble même avoir gagné son cœur. Comme il se doit dans la ville de l’amour. « On n’a peut-être pas inventé la lumière, mais on est les rois de l’éclat », lui lance d’ailleurs son aimée. Pour aiguiser encore un peu plus finement son regard, Gilles Martin-Chauffier fait aussi intervenir un Italien qui offre un autre angle sur son voisin transalpin. Une affaire de perspective, disions-nous… Et puis surtout, l’auteur des Lettres qataries n’est pas avare de bons mots. Ça fuse même tout au long de cet ouvrage où Gilles Martin-Chauffier balaie large, d’Anne Hidalgo, « la farce tranquille » à Mélenchon, « taureau avec des cornes d’escargot ». Personne n’échappe à sa sulfateuse, pas même le chef de l’État, « un vrai Français, il ne règle pas les sujets qu’il traite, il les évoque ». Mois après mois, Gilles Martin-Chauffier passe en revue 2023 et 2024, les derniers chapitres nous menant à la parenthèse enchantée des JO de 2024, et jusqu’à l’automne, alors que Michel Barnier accède à son siège, bientôt éjectable, de Premier ministre.
Dominique Demangeot