ESSAI
Albin Michel
Parution le 3 mars 2022
Dans son essai dont la traduction française est parue chez Albin Michel en mars, Olivette Otele démontre que les relations entre les Africains et le continent européen sont bien plus nuancées qu’on ne le pense. Une histoire complexe qui remonte à l’Antiquité, et que la chercheuse de l’Université de Bristol déroule jusqu’à nos jours à travers l’exemple des jeunes générations, notamment les afroféministes.
Dès le IIIe siècle en effet, les saints noirs vont exercer une influence allant bien au-delà des églises chrétiennes blanches, à l’image de saint Maurice né près de Thèbes (actuelle Louxor en Égypte). On trouve même quelques empereurs, tel Septime Sévère qui a consciencieusement effacé ses origines africaines, ainsi que des philosophes et des poètes, « premiers jalons d’une longue tradition d’intellectuels africains-européens ». Il faut dire qu’à l’époque romaine, la discrimination se base avant tout sur la classe sociale, et non la couleur de peau. Olivette Otele, spécialiste d’histoire coloniale et post-coloniale, démontre d’ailleurs qu’une évolution sociale était possible dans l’Antiquité et au Moyen-Âge. Ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que l’esclavage aux Amériques va changer le regard des européens sur les Noirs. L’évolution du statut des Africains en Europe est décrite à travers de nombreux exemples. On apprend ainsi que la mère d’Alexandre de Médicis fut probablement une Africaine libre et que Pouchkine comptait parmi ses aïeux un esclave capturé en Afrique de l’Ouest, qui deviendra un grand général en Russie.
L’ouvrage, remarquablement documenté, examine de nombreux contextes culturels, de l’Allemagne à l’Italie, de la Suède à la Grèce, résumant plusieurs thèses actuelles (« innocence blanche », daltonisme racial, post-mémoire) pour mieux comprendre les revendications de la diaspora africaine moderne. Une histoire des noirs d’Europe invite aussi à une réflexion sur la réécriture historique, thématique qui a ressurgi très récemment à l’occasion de la présidentielle. Une histoire qui est également une affaire d’altérité, et de regard, celui des européens sur les afrodescendants, mais aussi de ces derniers sur eux-mêmes. Le corps devient alors un vecteur fort de représentation. Olivette Otele n’oublie pas le rôle (passé sous silence ?) des femmes africaines dans l’évolution du statut de la négritude en Europe. Au-delà du cliché de la femme tentatrice (la Reine de Saba, Jeanne Duval, sulfureuse amante de Baudelaire), des intellectuelles, dans les Caraïbes notamment, ont milité pour le panafricanisme. C’est cette histoire, à la fois diverse et commune, ces échanges constants entre l’Afrique et l’Europe, au-delà de la colonisation et de l’esclavage, que dépeint aussi l’ouvrage d’Olivette Otele.
– Marc Vincent –