ROMAN
L’Iconoclaste
Un vieil homme interprète des pièces de Beethoven sur des pianos publics, dans les aéroports et les gares. Ils ne sont pas rares ceux qui s’arrêtent pour l’écouter. Un beau jour, il décide de tout nous expliquer, remontant très loin dans son passé, à la fin des années 60. Il y eut tout d’abord la disparition soudaine de ses parents et de sa sœur, puis son arrivée dans un orphelinat religieux des Pyrénées.
Si Joseph, bientôt 16 ans, apparente son nouveau statut d’orphelin à une maladie, le chemin vers sa « guérison » sera semé d’embûches. Aux Confins, l’orphelinat qui l’accueille, il parvient à s’intégrer à une bande formée par Fouine, Edison, Sinatra et le petit Souzix, des surnoms pour s’inventer des identités. Jean-Baptiste Andrea donne vie à des personnages attachants dont on saisit très vite les personnalités, et surtout les failles. Il y a aussi Momo, quasi muet, frappé d’épilepsie, exilé d’Algérie, et que Joseph prend sous son aile. Des diables et des saints c’est donc d’abord une histoire d’amitiés, quelques gosses que l’adversité a réunis, emplis de « cette naïveté fragile […] perdue un beau matin sans trop savoir comment ». Car il faut se les coltiner, l’abbé Sénac qui règne d’une poigne de fer sur l’établissement, et surtout la brute épaisse qu’est Marthod, élégamment surnommé Grenouille par les pensionnaires. Joe et ses camarades font partie d’un club clandestin, la Vigie, qui se réunit la nuit sur le toit de l’orphelinat, leur bouffée d’oxygène et de rêve, les yeux plantés bien haut dans le firmament. On y envoie des messages comme des bouteilles à la mer (ou plutôt au cosmos).
La Vigie pour fuir la solitude, qui peut être abyssale comme celle qu’a dû ressentir Michael Collins, troisième astronaute et illustre inconnu de la mission Apollo 11, resté seul dans la navette Columbia pendant 28 heures, pendant que ses deux collègues accédaient à la célébrité, attendant la fin de la mission pour repasser les chercher. Il faut dire que Joe et ses amis savent ce que c’est, d’être oubliés, mis au rancart, quand ils ne rêvent qu’à une chose : trouver une nouvelle famille… Alors nos jeunes héros cherchent par tous les moyens à s’échapper, en suivant le doux fil de la voix de Marie-Ange Roig à Sud Radio, ou guettant l’arrivée d’éventuels missiles russes (n’oublions pas que nous sommes en pleine Guerre Froide).
J’y mis tout ça, dans trois appuis simples. Mi bémol-sol. Rose sursauta. Si bémol-fa. Me fixa bouche bée. Do mineur. « Les Adieux ». La porte refermée, doucement, d’un lieu d’où l’on ne reviendrait pas. Rose s’était mise à trembler, la respiration étrange, un peu sifflante. Elle devinait, entre les notes, des Caravelles tristes, des moments d’incandescence, les fantômes de Ludwig et les miens. »
Avec le ciel, la musique est l’autre motif récurrent du roman, celle que joue Joseph, celle qui « envoie des fusées dans les étoiles ». Mais il manque quelque chose à l’apprenti pianiste, un déclic pour accéder à un autre niveau de jeu. C’est alors qu’il rencontre Rose et que le rythme entre enfin en lui. « Pour jouer comme ça, tu devras prendre le goût du dehors. Là tu trouveras le rythme », lui disait son professeur M. Rothenberg. Le rythme, il se tapit également dans cet ouvrage, aux côtés d’une langue généreuse, émaillée parfois de mots précieux (trémulement, callisthénie…). Tout à la fois roman d’apprentissage, d’aventure, et conte à la Dickens, l’ouvrage que nous offre Jean-Baptiste Andrea, ancien réalisateur et scénariste, tient en haleine de la première à la dernière phrase. Les diables et les saints, les saints et les diables, sont parfois difficiles à distinguer. D’ailleurs le livre n’est pas manichéen, bien au contraire. Le tragique se mêle au comique, la tendresse à la violence… Des histoires d’adversité, d’amitié et d’amour, tantôt baignées dans la Sonate au clair de lune, ou menant un train d’enfer comme une chanson des Rolling Stones. C’est beau comme un do mineur !