ROMAN
Verticales
Le dernier roman de François Bégaudeau nous transporte au sein d’une famille de la bourgeoisie parisienne partie en vacances à Royan. En apparence, les Legendre composent une famille moderne, bien dans son temps, en bonne santé et connectée, bien sous tous rapports si ce n’est le petit dernier qui rencontre des problèmes d’apprentissage, et pourrait bien être le grain de sable qui va gripper cette belle mécanique.
Famille je vous aime ? Famille je vous hais ? L’élément perturbateur dans cette famille qui ronronne, davantage qu’Amélie la maîtresse du père gardée à bonne distance, c’est le petit Louis, sept ans, qui effectue, comme nous le dit François Bégeaudeau, « une sorte de résistance passive par rapport au sort qui lui est imposé d’être un bon fils qui prend la relève de son papa.» Le grain de sable, disions-nous, dans cette famille qui prône les valeurs, tellement modernes dans notre société en marche, de la performance à tout prix. Concernant le titre du roman, il est en effet question d’un enlèvement, mais cet événement restera périphérique. « J’avais une idée derrière la tête. Il n’y aurait que des fugues ». Le dernier roman de François Bégaudeau nous présente en effet des échappées, la volonté de se défaire de l’emprise de certaines structures, qu’elles soient familiales, éducatives, économiques. « Je crois qu’on est de plus en plus nombreux à penser que le salut est la fuite.» Selon les sensibilités de chacun, il peut s’agir de fuir une famille, un travail, un environnement, voire un système tout entier (cf- le documentaire qu’a réalisé également François Bégaudeau, Autonomes).
Un enlèvement ne se départit jamais d’un ton mordant, le roman tournant en ridicule cette famille sûre d’elle-même, comme l’illustre l’épisode des yaourts bio ! « C’est quand même un peu les marginaux des marginaux, les Roms, dans notre société, donc il y a une confrontation que j’ai voulu un peu drôle, grinçante, embarrassante.» François Bégaudeau confronte ici deux univers, deux modes de pensée, d’un côté ce père de famille jetant des yaourts à la poubelle parce qu’il s’est trompé en les achetant – ils ne sont pas bio… – et deux jeunes femmes Roms qui vont récupérer les yaourts dans la poubelle. Un enlèvement évoque aussi la maladie d’Alzheimer à travers la mère d’Emmanuel. « On le voit bien autour de nous, quand on arrive à l’âge de 40, 50 ans, on a des parents qui peuvent être déjà un peu souffrants, sur la voie d’une sorte d’affaiblissement général », explique l’auteur. « Mais en plus c’était une façon d’humaniser mon narrateur qui est quelqu’un que je charge un peu par moments, avec lequel je ne suis pas toujours très sympa. C’est aussi montrer que pour être bourgeois et parfois insupportable et productiviste et performant, il n’en est pas moins le fils de sa mère, très ému par le sort de sa maman qui commence à péter les plombs.»
François Bégaudeau nous confesse qu’il a souhaité partir « en infiltration » dans une famille d’aujourd’hui, avec Emmanuel, le père comme narrateur. Suivre la famille pendant ses vacances permet à l’auteur de l’observer plus en détails, d’autant plus que ce dernier a souhaité employer le miroir grossissant de la satire. « Au départ, c’était vraiment montrer ce qu’il peut y avoir de doucement monstrueux ou de doucement violent dans la structure familiale elle-même.» L’auteur s’amuse (et nous avec) dans son dernier roman, jamais loin de l’ironie. Et bien évidemment, toute ressemblance patronymique avec des personnages réels (Brune, Parly, Denormandie…) n’est que pure coïncidence ! Comme un philosophe rieur, François Bégaudeau observe à la loupe cette famille se débattre dans ses contradictions, avec l’image qu’elle veut donner d’elle-même, quitte à grossir le trait comme avec ce livreur d’Amazon ou la baby-sitter… noire. Et peu importe que Brune, l’épouse d’Emmanuel, soit experte en communication de crise (elle en a même fait son métier), elle a bien du mal à appliquer ses principes à sa propre famille, et le vernis social que les Legendre ont soigneusement appliqué à leur progéniture et à eux-mêmes pourrait bien s’écailler plus vite que prévu.
Retrouvez François Bégaudeau dans ce reportage de Diversions (à partir de 0’50)