ROMAN
Gallimard
Sortie le 20 août 2020
Carole Martinez, auteure du Cœur cousu, récompensé par seize prix littéraires en 2007, dépeint à nouveau de magnifiques portraits de femmes dans Les roses fauves. Une romancière s’exile durant trois mois dans un petit village de Bretagne pour se consacrer à la rédaction d’un livre sur Barbe-Bleue, laissant mari et enfants à Paris. Mais très vite, ce séjour littéraire prend une toute autre tournure lorsqu’elle rencontre Lola.
Il est bien difficile d’enfermer Les roses fauves dans une catégorie, avec ses mises en abyme, les différentes voix et histoires qui composent le roman, baroque dans sa forme, mêlant les genres et les époques, car il évoque aussi, en filigrane, le travail d’écriture, Carole Martinez brouillant les pistes en s’incluant dans son propre roman. Quand le « je » devient jeu… L’autrice s’amuse, commente la fiction que nous sommes en train de lire. « Le roman surtout nous entraîne sur des territoires flous, il occupe les lisières » souligne la narratrice comme un clin d’œil (et il y en a beaucoup dans le livre !).
Postière taciturne et souffrant d’un handicap, dénigrée durant toute son enfance par un père acariâtre, Lola se considère comme une « femme sans intérêt ». Seul son jardin bien entretenu trouve grâce à ses yeux. Elle confie cependant à la romancière que dans sa famille, les femmes brodent un coussin en forme de cœur lorsqu’elles sentent que leur fin est proche. Elles le remplissent de papiers où elles ont consigné leurs secrets, leurs filles aînées héritant de ce cœur. Lorsque le cœur le plus ancien se déchire par accident, Lola et la romancière en lisent le contenu et découvrent la vie tourmentée de l’aïeule de Lola en Espagne, Inès Dolorès. Cette dernière va rencontrer un mystérieux cavalier gitan dont elle tombe amoureuse mais qui disparaît brutalement, lui laissant une fille dans le ventre. La saga de la famille de Lola Cam débute alors il y a plus d’un siècle, prenant racine en Andalousie, dans le sang et les larmes.
Pour Lola, découvrir la vie d’Inès, c’est aussi s’interroger sur sa propre existence, s’ouvrir à un monde qu’elle ne soupçonnait pas, charnel, intimidant, parfois violent mais qui l’attire irrémédiablement. Lola si secrète (son appartement est « un terrier », ses étagères « comme autant de petits cercueils »), renaît en s’ouvrant au monde, comme envoûtée par les graines de roses que son aïeule a abandonnées avec ses écrits. Des roses qui irriguent le roman de leur sang écarlate, s’incarnant dans une écriture lyrique et charnelle où vie et mort sont étroitement liées. Les personnages féminins de Carole Martinez prennent leurs destinées en mains, à des époques où les traditions les enserraient encore dans des carcans rigides. « Qu’il est difficile d’échapper à ce qu’on a connu enfant, à ce que nos parents, réels ou imaginaires, nous ont dessiné du monde ! », écrit Inès Dolorès, qui use pourtant de son corps comme elle le souhaite, acquiert très tôt son indépendance. C’est sa force, qu’elle transmettra à sa fille, une vigueur que l’on retrouve dans les ronces du jardin de Lola, qui « semblent douées de mouvement et se défendent à coups de griffes comme des bêtes ». Comme un héritage d’une femme à ses descendantes, qui a traversé les frontières et les années. Comme Frasquita dans Le coeur cousu qui insufflait de la magie dans les vêtements et les objets qu’elle confectionnait, Inès est un peu sorcière, semblant tirer sa force de la nature.
Dominique Demangeot