ROMAN
Actes Sud
Août 2017
La M’mé était une pieuse. Chaque fois qu’elle passait devant une église, elle se traçait la croix du bon Dieu. Elle jeûnait pour le Carême et la Semaine sainte et aussi à l’occasion d’autres fêtes.
– Abramović a fait fabriquer un squelette à son exacte dimension pour se familiariser avec ce qu’elle sera un jour, a dit Jeanne.
La M’mé a hoché la tête. Elle a dit, C’est une drôle d’idée…
Après Détails d’Opalka, publié en 2014, Claudie Gallay explore une fois encore le travail d’un artiste, en la personne cette fois de Marina Abramović. Cette dernière est un objet de fascination pour Jeanne, qui mène sa petite vie bien rangée, regardant passer chaque jour le train de 18h01 sur sa terrasse, attendant le macaron apporté quotidiennement par son époux Rémy. Une vie autrement plus sereine que celle de cette performeuse de l’extrême qu’est Marina Abramović. Pour Jeanne, elle représente la liberté absolue, celle de disposer de son propre corps, d’aller vers l’autre par des moyens divers, mais toujours par le biais de l’art.
Claudie Gallay propose, dans La beauté des jours à paraître le 16 août prochain, une réflexion sur ces choix que nous pouvons tous être amenés à faire un jour ou l’autre, entre la sécurité et l’inattendu, un dilemme qui s’incarne ici dans un amour de jeunesse de Jeanne, Martin revenant par hasard dans sa vie. Pour Jeanne, Marina Abramović est un guide, et son œuvre l’aune à laquelle elle va apprécier sa propre vie pour tenter d’en infléchir la direction, entamant avec l’artiste serbe une relation épistolaire incertaine, dans l’attente d’une hypothétique, si hypothétique rencontre. « Je me demande souvent pourquoi certaines choses me touchent autant, ce qu’elles viennent bouleverser en moi pour me laisser à ce point troublée », confie l’auteure. C’est le cas pour le travail d’Abramović qui est à l’origine de ce nouveau roman de Claudie Gallay. « Les performances de Marina Abramović nous parlent de nous-mêmes, de nos questionnements, de nos peurs et nos doutes, révèlent des facettes de l’espèce humaine, cruauté, compassion, violence ou bienveillance… ».
« Ni bien ni mal, on a nos habitudes », répond Jeanne lorsque son amie – sa seule amie ? – Suzanne lui demande comment se déroulent les habituelles vacances d’été à Dunkerque. Mais la quarantaine passée, à un tournant de son existence comme souvent chez les personnages de Claudie Gallay, Jeanne ressent désormais la nécessité d’un changement. Pas de grandes effusions ici cependant, de remise en question radicale ou de passion dévorante. « J’ai bientôt passé la moitié de ma vie, et je me demande ce que je vais faire de l’autre », écrit-elle simplement à Marina, lassée peut-être de son monotone emploi de postière, cette existence qui possède la régularité d’une éphéméride.
Réflexion sur l’acte artistique, sur la liberté lors de la création comme au sein du couple, La beauté des jours de Claudie Gallay évoque aussi un attachement profond à cette « enfance qui fait racine », l’histoire familiale qui peut parfois peser sur nos vies bien des décennies plus tard, comme c’est le cas avec Jeanne qui entretient des rapports compliqués avec ses parents et ses sœurs. C’est dans cet entre-deux entre l’inné et l’acquis, la filiation et l’indépendance, et finalement la vie et l’art, que se situe le personnage principal du dernier roman de Claudie Gallay. Jeanne, qui « porte en elle une petite fille inconsolable », comme le dit encore Claudie Gallay, mène sa barque, en partance pour un court mais intense voyage initiatique, sans quitter sa petite ville. Le lecteur suit Jeanne sur ce chemin de traverse, à l’occasion de ce bel hommage à l’art et son « pouvoir curateur et rassurant ».
Retrouvez Claudie Gallay, grande invitée du salon Livres dans la Boucle à Besançon, du 15 au 17 septembre 2017
Voir notre article sur le salon : http://www.diversions-magazine.com/besancon-livres-dans-la-boucle-2017-du-15-au-17-septembre/