« Comme un ascenseur qui s’arrête, le moment du déchirement semble très évident, très clair dans la mémoire. L’annulation totale d’une journée qui avait pourtant commencé autrement et dont le souvenir restera à jamais inaccessible, une journée comme d’autres, qu’on croyait pouvoir être honorable, passer plus ou moins vite, dont on ne comptait pas particulièrement retenir la date ; et qui redémarre brutalement. »
Lors d’une visite chez mon Libraire ( Libraires du Chat Borgne à Belfort pour ne pas les nommer ), je suis tombée sur ce livre que j’ai emporté avec moi de suite. En arrivant à la maison, j’ai regardé l’objet, en me demandant à quelle pulsion j’avais répondu en l’achetant. Le plus souvent, je vais chez mon libraire avec une liste plus ou moins longue et j’achète souvent plus que ce qui était prévu, succombant à la magie de certaines premières de couverture ou encore à un avis partagé sur un présentoir. C’est en achetant ce livre que j’ai compris les pouvoirs de l’esprit : « Calme et tranquille »… ces trois mots résonnaient en moi… pourquoi ? Flash : « Les écorchés » de Noir Désir. La citation en exergue s’y rapportant me mène en lieux connus, même si j’ignore encore ce que va me raconter ce livre, d’une facture sobre et élégante.
Très rapidement, la lumière se fait. Entre témoignage et narration, Valérie Manteau nous compte ce jour où tout changea pour beaucoup d’entre nous, plus ou moins directement. Charb, Cabu, Honoré, ces quelques noms mentionnés avec pudeur ancrent le récit dans une réalité qu’on aimerait n’être que fiction.
La narratrice raconte avec pudeur mais force ce qui s’est passé ce mercredi de janvier où la réalité a basculé. En ouvrant son récit par le décès d’une proche adorée, elle poursuit en racontant la stupeur, l’incompréhension, avec une économie de mots, une pudeur efficace sans oublier d’être frappante, voire poignante :
« T’as appelé Pelloux ?
Je n’y ai pas pensé. […]
J’essaie, ça sonne, ça décroche.
Ouverture de la trappe.
Un long hurlement. Jamais entendu cette voix.
Ils sont morts, Valérie ils sont tous morts.
Qui est mort ?
Tous, tous. Charb est mort.
[…]
Patrick, ce n’est pas drôle là. Charb est mort ? En tant que médecin tu me dis que Charb est mort ? Tu es sûr, tu l’as vu mort, toi-même ?
[Incompréhensible]
p 80-81
Un récit pudique, un témoignage, une autofiction… ce texte est tout à la fois, mais l’étiquette importe peu devant la beauté et les mots poignants de cette jeune auteure qui ne cède jamais à la facilité de quelque tonalité empruntée.
Une belle découverte, pour ne pas oublier.
Lucie Brownie