Les revues des scènes culturelles ont le vent en poupe à Strasbourg. Après le lancement la saison passée de Corps-Objet-Image, qui reprend dans son titre le cœur du projet de Renaud Herbin au TJP, c’est au tour du Théâtre National de Strasbourg d’investir le champ éditorial avec Parages, dont le premier numéro est disponible en librairie depuis le 20 juin dernier.
À l’initiative du directeur Stanislas Nordey, la revue Parages est coordonnée par Frédéric Vossier, écrivain, dramaturge et professeur. Un comité de rédaction a été mis en place, constitué de Mohamed El Khatib, Claudine Galea, Joëlle Gayot, Lancelot Hamelin, Bérénice Hamidi-Kim et David Lescot. Ce comité a opté pour des formes très diverses qui évitent le schéma, parfois austère, de la revue traditionnelle. Dans ce premier numéro de Parages, on trouve ainsi des échanges de mail – la relation épistolaire du XXIe siècle -, des interviews, des lettres et des portraits, des articles ou des formes hybrides comme cette étonnante – et éclairante – balade urbaine de Lancelot Hamelin et Philippe Malone, un « portrait-collage » pour le moins original du second, auteur dramatique et photographe. David Lescot nous offre quant à lui un texte inédit, sous la forme d’un dialogue entre deux personnages qui abordent la question de la parité. Plusieurs biais qui bâtissent en tous les cas un espace d’expression dédié aux auteurs contemporains… et vivants ! Ils sont en effet rares les lieux où la parole des auteurs – hormis la scène et l’édition de leurs textes dramatiques – se trouve valorisée. Cette nouvelle revue, dont le deuxième numéro devrait paraitre en avril 2017, s’attachera donc à parcourir « cette zone indistincte et incalculable, indéterminée et flottante », comme la définit Frédéric Vossier, aux abords de la création.
Le contenu de Parages n’évoque pas nécessairement les spectacles au programme du TNS, proposant plutôt des réflexions sur des thématiques en lien avec l’art dramatique dans toute sa diversité. Parmi cette « pluralité de singularités » que souhaite mettre en lumière Parages, citons, au risque d’en omettre d’autres, ce bref échange entre deux jeunes auteurs et hommes de théâtre. Jean-Luc Lagarce et Didier-Georges Gabily dissertent sur des textes que le premier vient d’adresser au second, évoquent leurs doutes quant à la fragilité de leur métier, « ces petites médiocrités », ces préoccupations de trouver un producteur, un théâtre, une oreille attentive. C’est aussi – et peut-être surtout – cette part intime à laquelle nous invite à accéder Parages, déporter notre regard du texte dramatique pour en étudier l’environnement immédiat ou plus lointain, pour évoquer l’écriture/voix de l’auteur de théâtre – Joëlle Gayot -, l’édition de cette parole – Sabine Chevallier qui dirige les éditions Espaces 34 -. Braquer les projecteurs sur l’expérience de l’Écrire, ce geste fondateur, cet acte majuscule pour Claudine Galea. La dimension politique du théâtre aussi, débattue par David Lescot et Olivier Neveux, l’auteur comme acteur du monde, à l’instar de Carine Lacroix témoignant de son expérience dans un camp de réfugiés syriens, s’extrayant « de sa tour d’ivoire et de ce temps secret (…) de l’écriture » pour plonger dans la réalité de l’actualité. Comme l’illustre notamment ce beau travail effectué par Lancelot Hamelin sur « l’écrivain de plateau » qu’est Philippe Quesne et son écriture naissant des répétitions, Parages nous donne ainsi accès aux questions multiples qui jalonnent les parcours des gens de théâtre, qu’ils soient auteurs, metteurs en scène, créateurs lumière, scénographes. Qu’en est-il de la nature d’un texte dont la finalité est de prendre corps sur un plateau ? Comment Marie-Christine Soma, créatrice lumière, envisage-t-elle son métier ? Parages, revue à laquelle l’envie est forte de glisser un t dans son titre, nous offre des pistes de réponses à ces questions, et à quelques autres.
Dominique Demangeot
Pour se procurer la revue : http://www.tns.fr/parages